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Patrick Bruel - 2 faces > PB Chanteur > Profil d'une oeuvre (heureusement) incomplète

Profil d'une Oeuvre (heureusement) incomplète...

 

Plan

Avant-propos

I Le regard

	a) La force du regard féminin
	b) Son regard sur les femmes
	c) Le regard des autres, son regard sur les autres

II La peur

	a) La peur "trac"
	b) La peur "avouée"
	c) La peur "partagée"
	d) La peur face aux comportement des autres
	e) La réaction face à la peur des autres
	f) La peur "angoisse"

III Le temps

	a) Le temps de l'attente, ou l'apprentissage de la patience
	b) Tout va trop vite !

IV Les lieux

	a) Les appart'
	b) Les cafés
	c) Les routes

V Le dialogue

	a) Savoir écouter
	b) ...Pour être mieux entendu

VI Les erreurs

	a) Mea culpa  et lucidité devant l'erreur
	b) L'erreur refoulée
	c) La faute partagée
	d) Tout l' monde peut s' tromper !

VII La séparation

	a) Quand il part
	b) Quand les autres partent

VIII La souffrance

	a) La souffrance morale ou "l'enfer, c'est les autres !"
	b) Quand la souffrance devient physique

Conclusion


"Profil d'une oeuvre (heureusement) incomplète"

Avant-propos

Étudier la thématique d'une oeuvre, au-delà d'une énumération de quelques thèmes, c'est explorer une structure, la découvrir, en définir les pôles et les lois, en un mot percer "le système d'un être".

Mais peut-on mieux connaître Patrick Bruel à travers son oeuvre qui ne se résume aujourd'hui qu'à trois albums ? Et quelle en est la part d'autobiographie ?

" Elle est totale " répond l'auteur à Nagui (Taratata. Juin 1995). Il va jusqu'à prononcer le mot "impudique" pour qualifier la façon dont il se livre dans ses chansons.

Partant de cet aveux, le présent essai trouve sa raison d'être. Sans prétention, il est aussi dénué de but lucratif. Il reflète tout simplement la concrétisation d'un coup de cœur de l'auteur pour le chanteur. Que ces quelques pages soient un jour feuilleté par celui-ci et que prisonnier d'un emploi du temps saturé, il consacre quelques minutes à sa lecture.

PS : J'ai pensé que cet essai pourrait aussi intéresser les internautes qui aiment aller voir "derrière les mots"... et ceux de Bruel en disent long !
Un merci tout particulier à Françoise qui a accepté de me faire une petite place sur le site qu'elle consacre à Patrick Bruel.

Merci de m'envoyer vos réactions et... bonne lecture !

Sandrine ROY
Sand3468@aol.com


Oeuvre protégée par la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques)



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I Le regard

" Que l'importance soit dans ton regard, non dans les choses regardées "
A. Gide. Les Nourritures terrestres.

Si j'ai choisi de faire du regard le premier chapitre, c'est que la récurrence de ce thème dans l'œuvre de Bruel est à ce point impressionnante qu'elle m'a donné un jour l'idée de rédiger ce Profil.

Le regard est présent, d'une façon ou d'une autre, dans presque toutes ses chansons sous deux formes:
Celui du citoyen qui scrute la société, observe ses contemporains, examine leurs comportements.
Et celui de l'homme qui pose ses yeux sur les femmes, tente (parfois en vain!) de les comprendre et se laisse éblouir "autour et détours" d'un regard.

a) La force du regard féminin

Car, il est clair que le regard féminin le fascine. Il y fait référence dans de nombreuses chansons... La plus évocatrice d'entre toutes est sans nul doute Elle m' regardait comme ça.

Ce regard là le trouble au point de le laisser pantois :

Elle m' regardait comme ça
Et moi j' restais comme ça

Alors que les autres le voient comme un défi :

Elle avait dans les yeux
Ce p'tit air qui agace
Tous les gens bien pensants
Bien assis, bien en place.

Il se veut différent de ces quidams "insipides et sans saveurs" que la provocation dérange. Il se reconnaît en elle. Elle se reconnaît en lui et cherche à le cerner en puisant les réponses au creux de son iris. Jeux de regards, jeux de miroirs (tu m'regardes à travers les glaçons de ton verre. "lâche-toi") ...

Elle cherchait dans mes yeux
Des réponses, des questions.

...finalement gagné par la jeune personne. Il est décontenancé, un peu triste que le mystère dont il s'entoure et qu'il aimerait préserver plus longtemps soit si vite mis à nu par la perspicacité de l'héroïne. Il sait maintenant que son regard est bien plus loquace que son langage. Il sait aussi qu'une fois "décodé", la bataille est perdue et qu'il ne lui reste plus que la parole en guise d'arme:

Ça m' rendait malheureux
J' disais oui, j' disais non.

Sachant à quel point il peut être trahi par son regard, il lutte et feint un air détaché dans "J'roule vers toi". Dans ce contexte précis, un regain de fierté ou de pudeur l'empêche de "laisser aller ses yeux" car il est, une fois n'est pas coutume, troublé par tout ce que ceux de la jeune femme suggère.

J'faisais semblant de rien
Quand j' croisais son regard

Mais à ne pas jouer franc-jeu, cette partie, il la perd :

Mais à ce jeu idiot
Je me suis emmêlé
Mais à ce jeu idiot
Même si on gagne jamais.

S'il y a des regards qu'il préfère fuir plutôt que de les affronter, il en est d'autres qu'il implore, car ils seraient comme une réponse affirmative à la question : "Est-ce que je compte pour toi ? " Ce regard est une preuve d'existence. Il pourrait se traduire par un "je suis regardé, donc je suis"

Regarde-moi un peu ce soir
Dis-moi, dis, qu'est-ce que tu vois en moi?
...
Est-ce que tu m'regarderas?

(Une chanson qui sert à rien)

J'avais eu si souvent envie d'elle
La belle Séverine me regardera-t-elle ?

(Place des grands hommes)

Pour te faire réagir
Que tu regardes vers moi

(J' roule vers toi)

J'ai vu dans vos regards
Des possibilités

(A tout à l'heure)

Mais dans chaque sourire
Je cherchais ton regard
Mais dans chaque regard
Tout le reste était noir

(J' roule vers toi)

Derrière ces grands yeux
Qu'est-ce qu'il y a?

(Une chanson qui sert à rien)

Elle n'a pas bougé
V'la qu'elle me fixe
c'est tout bleu

(La Fille de l'aéroport)

Je vois bien dans tes yeux
Tu es déjà partie

(Pour exister)

b) La force de son regard sur les femmes

Il connaît l'importance d'un regard et le sien apparaît comme un cadeau d'une valeur inestimable pour une fille comme celle d'en bas des marches plongée dans un désarroi extrême :

Elle aurait tout donné
Pour un geste, un regard
Qui avaient tellement manqué

ou celle de Décalé, victime d'une "sale histoire"

Elle m' cherchait du regard
Comme s'il était trop tard
Comme si personne n' voulait rien voir

C'est un appel au secours qu'elles lui lancent et auquel il ne peut s'empêcher de répondre...

J'ai cherché maladroit
Le fond de son regard
Histoire de comprendre
Son histoire

(En bas des marches)

...contrairement aux parents de "Casser la voix" qui semblent bien passifs :

Doucement les rêves qui coulent
Sous l' regard des parents

Le regard est encore et toujours le miroir de la vérité, le reflet de l'âme. C'est l'atout (le dernier ?) pour convaincre la femme de sa sincérité... Regarde moi, Faut qu' tu me croies (J' suis quand même là)... Car avec les yeux, impossible de tricher... Et si vos yeux vous ont menti (Est-ce que tu danseras avec moi ?)

c) Le regard des autres, son regard sur les autres

Et puis, il y a des gens proches, victimes d'un sentiment d'infériorité, de gêne dissimulée qui, à tort, n'osent pas affronter son regard de peur d'y lire la déception ou d'y voir une forme de mépris... enfin d'y découvrir tous ces sentiments qui parfois, blessent bien plus que les mots.

Tu baisses les yeux
On dirait que ça t' gêne de me revoir

(On t'attendait)

Il se montre bien moins indulgent face à ceux qui n'osent pas affronter la vérité d'une réalité qui les dérangent ou qui les met mal à l'aise, ceux qui à défaut de s'impliquer, s'appliquent... à invoquer les dieux pour que tout aille mieux. Il est intransigeant face à cette forme de lâcheté:

J'en ai vu qui priaient, peinards
Mais qui tournaient tout l' temps l' regard

(Dors)

Parallèlement, il regrette la quasi absence de vie au fond des prunelles de certains quand le poids de la déception est pourtant si lourd à porter:

Doucement les rêves qui coulent
Sous l'regard des parents

(Casser la voix)

Sil est vrai que quand tout va bien, il est en quête de regards pour comprendre, savoir, connaître et apprendre; en revanche il fuit les yeux des autres quand tout va mal. C'est une fois de plus, parce qu'il sait trop bien que tout peut être dévoilé entre deux battements de paupières.

On cherche à éviter
Tous ces regards qu'on redoute

(Rien à perdre)

A la lecture de cette liste non exhaustive, (ps: non, je n'ai pas oublié "alors regarde"!) on est amené tout naturellement à se demander jusqu'à quel point le regard n'est pas plus expressif que le langage pour lui...

Il la regardait
Pas besoin de mots
Ses yeux lui disaient
Ne tarde pas trop
...
Et puis ses yeux se sont posés
Doucement sur chacun
Et chacun de nous y lisait
Quelques mots pour demain

(Elie)

...Il semble, en tous cas, tenir une place non négligeable de complémentarité. C'est tour à tour "une arme" pour combattre l'ennemi, un "outil" pour séduire ou comprendre , un "code établi" qui lui permet de reconnaître l'âme de ses semblables, mais c'est surtout et avant tout "la mamelle" de sa réflexion et le plus subtil des procédés pour débuter une partie ...

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II La peur

" Je n'ai pas d'autre ennemi à craindre que la peur "
F.L. Nowles. La Peur

Il pourrait être l'auteur de cette phrase car la peur est omniprésente dans son œuvre. Elle le hante et se manifeste d'ailleurs dès sa plus tendre enfance :

Comme toi j'avais peur la nuit
Bandits cachés sous mon lit

(Dors)

Mais plus tard, il refuse de s'installer dans un univers de l'acceptation fataliste de la peur. Il la maudit pour mieux s'en défaire :

Mes doutes et mes angoisses
Que le diable les emporte

(J' roule vers toi)

a) La peur "trac"

S'il est une forme de trac que rencontrent tous les artistes un jour ou l'autre dans leur carrière, c'est bien celle-ci et il n'y échappe pas :

Que j'avais peur de venir
Là tout seul devant vous

(A tout à l'heure)

Les soirs où j'avais peur
Vous m'avez regardé

(A tout à l'heure)

Encore le regard... Celui du public cette fois, indulgent face à l'artiste débutant.

Et vous avez aimé
Chacune de mes erreurs

(A tout à l'heure)

b) La peur "avouée"

Il est louable de sa part de savoir mettre de côté une certaine fierté personnelle et d'avouer ses craintes. Il brise, par là même, les idées préconçues selon lesquelles la gent masculine serait moins touchée que les femmes par ce sentiment !
Il peut nous apparaître aussi comme un antihéros: Il ne se pose pas en soldat brave et confiant. Non, au risque de donner l'image d'un craintif un rien poltron, il clame haut et fort qu'il est humain, qu'il a des craintes.
Paradoxalement, en avouant cette peur, ne fait-il fait preuve d'une forme de courage ?!

Pas d'erreur, c'est toi
Mais j'ai peur, crois moi !

(Bouge)

Pardonne moi, je m'égare
Mais tout me fait peur ce soir

(Pars pas)

Ce soir, j'ai pas osé bouger
(Une chanson qui sert à rien)

J'ai peur d' la mort
Pourtant je sors

(Musique vieille)

Mais il n'est pas l'unique victime de la peur...

c) La peur "partagée"

Partagée d'abord par une équipe, celle des musiciens, des techniciens, celle avec laquelle il fait un bout de chemin de temps en temps pour les besoins d'une tournée.

Alors on s' retrouve sur la route
Avec nos peurs, nos angoisses et nos doutes

(Qui a le droit)

Ou encore la peur ressentie simultanément par lui et la femme croisée au détour d'un voyage, au moment de "concrétiser" leur rencontre comme dans "décalé"

Les verres de cachaça nous donnaient du courage
On faisait les malins pour pas rester trop sages

On note au passage que la peur intervient donc aussi au sein du couple mais ce n'est pas une peur "angoisse" comme celle que l'on étudiera plus loin ; tout au plus une sorte de gêne, de pudeur cachée qui est d'ailleurs à l'origine d'une incompréhension.

Qu'on osera enfin se dire
Qu'on s'aime et puis c'est tout

(J' suis quand même là)

... ou d'une séparation comme dans "S'laisser aimer"

On s'est trop protégé
Trop peur, trop jeunes, qu'est-ce que j'en sais

d) La peur face au comportement des autres

Les autres, ce sont en général les grands qui dirigent le monde et surtout ceux qui les écoutent, ceux qui font les guerres et ceux qui ont tendance à oublier un peu trop vite les leçons tirées des erreurs du passé. Alors, puisqu'il ne peut pas intervenir concrètement et leur barrer la route, il use de son droit à la parole, profite du micro qu'il a devant la bouche pour dénoncer leur attitude.

Celle d'un gosse sans gêne
Qui est monté sur cette scène
Qui vient crier au secours
...
Pour te dire que j'ai peur
Qu'ils sont devenus fous

(Rock, haines, rôles)

Mais j'ai peur, crois moi
Des hommes qui perdent la mémoire
Qui t' racontent une autre histoire

(Bouge)

e) Sa réaction face à la peur des autres

Il a tendance à mépriser cette peur : " Arrête de trembler comme un lierre ". "Même si on est fou" ; réaction paradoxale puisqu'il en est lui même la victime de façon régulière ! C'est peut-être parce qu'il sait trop bien à quel point elle peut freiner les élans du cœur et bloquer d'audacieux projets qui se seraient concrétisés si "elle" n'avait pas surgi.

Cette peur devient ennemie quand elle bloque l'élan d'un proche :

T'avais pas peur, tu voulais vivre
Et maintenant tu m' dis que tu veux plus m' suivre

(Bouge)

T'as du mal à partir
Alors tu joues l'innocence

(Alors regarde)

Toi t'as eu peur d'une question sans retour
(Une chanson qui sert à rien)

Elle est, une fois de plus, l'élément perturbateur entre lui et la femme ; mais cette fois, c'est elle qui en est la victime, il le devine et l'encourage à vaincre cette angoisse qui s'est interposée. La peur ne peut pas, ne doit pas jouer les troubles fêtes dans l'histoire d'amour naissante.

Je sens ta main venir doucement, subreptice
Tu arrêtes, tu hésites, est-ce par peur ou par vice ?
...
Car ce soir t'as envie d'autre chose
Mais ce soir, va falloir que tu oses

(Lâche toi)

f) La peur "angoisse"

C'est certainement la plus forte, la plus désagréable, la plus difficile à surmonter parce qu'on n'en connaît pas bien l'origine, parce qu'on ne sait pas vraiment comment lutter contre. C'est un spleen, une solitude poussée au paroxysme, une angoisse indescriptible.

La peur qui est la mienne
Quand j' me réveille la nuit

(Casser la voix)

J'ai passé tellement d' nuits
A maquiller mes peurs

(Rien à perdre)

Pardonne moi, je m'égare
Mais tout me fait peur ce soir

(Pars pas)

On notera au passage que le dénominateur commun de ces trois extraits est la nuit : période ô combien présente dans son œuvre ; période qui favorise l'esprit créatif de l'artiste mais période où les pensées les plus noires sont exacerbées.

La constatation la plus intéressante de ce chapitre est qu'il a du mal à chasser ses propres peurs ou à les dominer, parfois, on se demande même si elles ne sont pas un prétexte facile pour expliquer les échecs qu'il essuie. Mais quand les gens qui l'entourent sont victimes de ce sentiment, il est d'une rigidité intraitable et refuse de compatir ou d'admettre que ses amis s'inclinent si facilement face à "elles".

Bruel avouait à Laurent Boyer (Fréquenstar 1994) : " Dans ce métier, on passe sa vie à avoir peur : peur de ne pas y arriver, et quand on y arrive, peur que ça n'arrive plus; alors on a peur tout le temps! ".

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III Le temps

" Hâtons nous, le temps fuit et nous traîne avec soi : le moment où je parle est déjà loin de moi. "
N. Boileau. Epîtres.

Il est le symbole de l'homme pressé du 20ème siècle. Il court après le temps et ne le rattrape pas toujours. Il reste un incorrigible de l'élan et en est parfois la victime. Quant à ses personnages, ils sont écrasés par le temps : n'ayant pas d'insertion sociale, n'ayant aucun projet concret, ils attendent.

a) Le temps de l'attente ou l'apprentissage de la patience

C'est un impatient. Un vrai ! L'attente lui est, en effet, plutôt très désagréable parcce qu'elle ne lui apprend rien. Il est conscient qu'à force de ressasser un passé raté, on gâche aussi le présent.

On constatera avec les exemples ci-dessous que les personnages féminins n'ont pas vraiment de scrupules à le faire languir. Que d'heures passées à les attendre ! ...

Tu devais m' téléphoner
Alors j'ai attendu
J'ai passé la journée
A regarder dans la rue

(Puzzle)

Ça fait trois heures qu' je suis là planté
C'est pas qu' j' m'ennuie mais j' vais m' tirer

(Comment ça va pour vous ?)

J'ai passé tellement de temps
A regarder en arrière

(Pour exister)

Du temps qu'on a passé
A se chercher, futile

(S' laisser aimer)

J'ai passé tellement d'heures à me demander pourquoi
Mes plus belles erreurs étaient toujours pour toi

(Pour exister)

Par expérience il sait que si l'attente est trop longue, les conséquences peuvent parfois s'avérer tragiques. Certaines de ses héroïnes en ont fait la triste expérience...

Elle est partie un jour
Elle a quitté le bal
...
Elle avait pas eu le temps
d'attendre trop longtemps

(Elle m' regardait comme ça)

...et lui aussi. Il est conscient des conséquences négatives de ce temps négateur quand le moment "M" est écoulé... Opter pour l'attente au détriment de l'action est toujours un mauvais choix selon lui :

On t'attendait comme avant
Faut pas laisser trop de temps

(On t'attendait)

Il s'inquiète aussi du manque de patience de la femme à qui il confie son désarroi dans J'te mentirais... Troublé par quelqu'un d'autre, il s'enquiert de savoir si elle aura la patience d'attendre qu'il trouve la route qui le reconduira vers elle.

Est-ce que tu seras en bas
Est-ce que tu m'attendras
...
Pour me ramener vers toi

Et quand les circonstances ne lui laissent pas d'alternatives, car le temps est pour lui un cadeau fugitif dont il faut savoir faire bon usage :

La haine de devoir passer
Le plus clair de son temps
Au milieu de ces gens

(Rock, haines, rôles)

Les rendez-vous manqués
Et le temps qui se perd

(Casser la voix)

Il remercie à sa façon ceux qui ont accepté de gâcher un temps (qu'il sait ô combien précieux), jusqu'à ce que les expériences de la vie le fassent arriver à la hauteur de leur sagesse.

J'ai maquillé mes yeux
Inventé des ciels bleus
A qui voulait comprendre
A qui voulait m'attendre

(De face)

Le long apprentissage de la patience et les efforts déployés pour apprendre à attendre portent leurs fruits. Le dernier album serait-il celui de la maturité et de la sagesse ?! Les deux exemples qui suivent tendent à le confirmer !

Tel est pris qui croyait prendre
Par qui sait attendre

(Lâche toi)

Tu vas rentrer sûrement très tard
C'est pas grave, j' t'aimerai en retard

(Est-ce que tu danseras avec moi ?)

...Le dernier, sorti en octobre 99, tendrait à le confirmer: Il est décidemment de plus en plus patient!

Je vais t'attendre au coin de la rue
...
Laisse-moi me dire qu'avec le temps

Quant à la fille d'en bas des marches, (dont le regard vide était paradoxalement si expressif qu'il lui a inspiré cette chanson), elle attend...qui, quoi ?! On ne sait pas, elle ne sait plus... mais chacun d'entre nous n'attend-il pas Godot ?

Elle passait toutes ses nuits ici
A attendre je n' sais qui
...
Elle était assise en bas du monde
A écouter les secondes
Qui résonnent sans rien dire
Qui n' parlent même plus d'avenir

b) Tout va trop vite !

Il ressent une grande impuissance face à la fuite du temps ...Les heures, les minutes et les secondes défilent et comme tout musicien, il aime "être dans le rythme". Il tente de s'y caler, et ce n'est pas toujours si simple !

Personne peut arrêter ce compteur
(Dors)

...en conséquence, il se hâte...

Alors je fonce
(Flash back)

Et j'ai marché encore plus vite
(S' laisser aimer)

Le temps l'oblige à lutter, il l'envoie au combat, il le défie en quelque sorte:

Toutes les batailles que le temps me force à jouer
...
A courir vers ma vie pour pas devenir fou

(Pour exister)

Et le chanteur ne sort pas toujours vainqueur de ses luttes contre l'impalpable:

Même si j' tombe à genoux
Même si tout va trop vite

(Rien à perdre)

Sa course effrénée est quelquefois désordonnée. Il couvre le maximum d'espace en un minimum de temps. L'impression d'aller vite, de gagner cette course contre la montre serait un moyen de palier au manque de l'être cher :

Courir dans tous les sens
Pour guérir une absence

(De face)

Sur sa route, il aperçoit furtivement des semblables qui, comme lui, dévorent l'espace. Pour qui, pour quoi, contre qui, contre quoi ? ...

J'ai vu des hommes qui courent
(Alors regarde)

On s' réveille un jour
On s' dit qu'on court
Tous vers la même histoire

(Flash back)

Et puis il y a les autres, ceux que rien ne presse et qui l'invitent à ralentir ses actions, ses initiatives, ses élans :

Arrête de toujours vouloir nous freiner
(Même si on est fou)

Il les maudit parce que pour lui, ralentissement rime avec retard. Et une fois n'est pas coutume, la preuve ! :

Pardonnez moi si j'arrive un peu en retard
(Marre de cette nana là)

Malgré tous mes retards
On vit la même histoire

(J' suis quand même là)

Je m' dépêche, j' suis en retard
(Comment ça va)

Il a un rapport de force permanent avec le temps. C'est tantôt un ami quand il a l'impression fugace d'en être le maître ou de le réduire au néant au point de dire à son public, "A tout à l'heure" quand il sait qu'il est pourtant question d'années; tantôt (et bien plus souvent!) un ennemi quand il réalise à quel point le rythme imposé est inhumain. C'est à ce moment qu'il part au combat pour essayer de le rattraper et fait des erreurs de parcours:

Même si j'ai pas pris l' temps
D'ouvrir mieux tes valises

(J' suis quand même là)

Il lutte contre le temps comme il lutte contre la peur. Il apprend à les gérer, à les contrôler. Et si le temps semble parfois l'anéantir, ou lui faire commettre des erreurs, il sait qu'une fois au Paradis (?!) il en tirera les leçons...

Même si on a tort
On attendra d'être mort
Pour y penser

(Même si on est fou)

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IV Les lieux

" Le monde entier se trouvait devant eux, où choisir le lieux de repos et la Providence fût leur guide. "
J. Milton. Le Paradis perdu.

Il y a toujours un "ici" et un "ailleurs". La sédentarité n'est pas vraiment de mise chez lui. Si l'appartement est souvent synonyme de rupture, les refuges que pourraient être les rues, les cafés, la route, la scène, le Brésil et l'Amérique ne gomme pas mieux son spleen.

a) Les appart'

Chaque fois qu'il évoque l'appartement, c'est pour dépeindre une rupture, un départ.

J'ai passé ma jeunesse
Avec une fille dans un deux pièces
Si aujourd'hui c'est fini
Y'a des appart' ailleurs qu'ici

(L'appart')

Constat optimiste de l'échec, mais non dénué d'une certaine nostalgie...

Dans cet appart', on s'est aimé
Maintenant qu'il faut qu' je parte
J' commence à m'en rappeler

... nostalgie du passé, encore dans "Est-ce que tu danseras avec moi ?" quand l'attente interminable de la femme aimée lui rappelle un passé certainement plus heureux :

Je marche de la chambre à la chambre
A piétiner mes souvenirs

Et cet état léthargique dans lequel il est plongé est coupable du désordre qui règne dans la pièce :

Sur la moquette, deux trois journaux
Un gros pull bleu, des verres qui traînent.

Et puis, il y a l'appart' des autres, celui dans lequel il est convié le temps d'une soirée ou d'un été et où il ne se sent pas vraiment à sa place.

La salle est pleine à craquer
...
On fait semblant d' se parler
On fait semblant d' s'amuser

(Comment ça va ?)

Tes amis sont sympas, y'avait vachement d'ambiance... quoique
Au fond du canapé j'ai pas vu l' temps passer... quoique

(Quoique)

Pour les vacances elle veut qu'on aille à Saint-Trop'
Chez des amis qui parait-il sont très pop.
Non seulement j'ai plus un copain
Mais en plus faut qu' je m' fasse les siens

(Marre de cette nana là)

b) Les cafés

Ils sont le remède à sa solitude et différentes scènes, dont il est à chaque fois acteur, s'y déroulent.

Comme l'appartement, le bar va être le témoin d'une séparation. Dans "j'te l'dis quand même", il déplore d'ailleurs le choix de l'endroit.

On aurait pu se dire tout ça
Ailleurs qu'au café d'en bas

(J' te l' dis quand même)

Inversement, les cafés à l'étranger sont plus le théâtre de rencontres... sans lendemain. C'est dans l'un d'eux, par exemple, qu'il a un coup de cœur pour la chanteuse du "Café de Belem" qui " jouait au poker avec deux, trois dockers "...

Dans un vieux piano bar
Elle chantait tous les soirs

(Décalé)

Et puis il y a le bar de "la grosse pomme". (Il confiait à Laurent Boyer dans Fréquenstar en 1994 " je me sens chez moi à New-York "), celui qui va apaiser sa solitude, le dernier lieu où il décide de terminer la nuit quand il réalise que les amis sont trop loin pour l'entendre, trop fatigués pour l'écouter. Le bar, ici, est l'ultime sauveur, le dernier recours.

Plus personne pour m'écouter et le bar va fermer
Pas question d' se coucher, juste envie de traîner

(Joue, docteur joue)

Alors il terminera la nuit au café "Wha", le bar où Jimmy Hendriks a fait ses débuts. Le bar n'est-il pas le lieu qui, de tout temps, a accueilli les paumés de la nuit, les artistes ?!

Il se joindra aux musiciens qui s'y produisent. Parmi eux, il y a Docteur John qui va contribuer à atténuer son spleen. La musique est salvatrice !

V'la un doc' qui sait y faire
Avec trois accords en l'air

(Joue, Docteur joue)

Entre Paris et l'étranger, entre l'appartement et le bar, il y a des lieux de transition comme l'aéroport, témoin privilégié d'une rencontre de deux regards (tiens ?!)

Assis en salle d'embarquement
Ça fait deux heures que j' fais semblant
D' lire un bouquin...

(La fille de l'aéroport)

Et quand il ne se déplace pas dans les airs, il le fait sur terre.

c) Les routes ...

Au sens figuré d'abord :

Comme bon nombre d'écrivains, il utilise la route comme métaphore pour décrire les choix faits dans la vie...ou les gens rencontrés.

J'ai fait tous les voyages, croisé pas mal de routes
(S' laisser aimer)

Puis au sens propre, celles qui le mènent d'une ville à une autre pendant les tournées

" Alors maintenant, on s' retrouve sur la route "
(Qui a le droit).

Une route qui le conduit vers un amour perdu qu'il aimerait bien reconquérir :

Sur la route c'est mouillé
...
J' roule vers toi
Même si t'es jamais là
Même si tu m'attends pas

(J' roule vers toi)

Les voyages semblent être une fuite quand tout va mal :

J'ai fait semblant d' partir
J' suis pas allé bien loin
Histoire de s'en sortir
On prend n'importe quel chemin

(Rien à perdre)

Quel que soit le lieu où il se trouve, on a toujours le sentiment que c'est une succession de hasards (au fait, existe-t-il vraiment ?) qui l'a conduit là: S'il est banal de rentrer fortuitement dans un café, il l'est moins de se retrouver devant 10 000 personnes par un coup du destin ! C'est pourtant ce qu'il laisse entendre dans "A tout à l'heure": "J'étais venu par hasard, jeu ou curiosité"...

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V Le dialogue

" Le plus difficile au monde est de dire en y pensant ce que tout le monde dit sans y penser. "
Alain. Histoire de mes pensées.

a) Savoir écouter...

Il a un besoin vital et presque maladif de communication. Preuve, s'il en est, que le regard n'est donc pas assez puissant pour répondre à toutes les questions ou soulager tous les maux. Homme de paroles, il ressent logiquement une aversion pour les silences.

Parle moi...même si je sais tout déjà
Parle moi... de tout, de rien mais de toi
...
Ce silence, j' le connais bien
Tu dis tellement, tellement quand du dis rien

(Pars pas)

Ici, le silence de l'homme condamné par la maladie est pesant et quelques mots, même banals, même futiles seraient la preuve que l'autre est encore là, vivant, actif. Dans " Bouge ", le silence de l'autre rime avec passivité, capitulation et il le déplore :

Tu dis rien depuis des heures
Qu'est-ce qu'il y a en nous qui meurt ?

Cependant, il reste confiant et volontaire. Il est dans l'expectative du moindre signe d'accord.

Un mot, un seul, j' t'emmène.

L'écoute est parfois riche d'enseignements et très constructive :

On t'écoutait, on avançait
(On t'attendait)

Il déplore souvent le silence en réponse à ses questions dont la seule fin était d'être rassuré:

J'ai lutté pour apprendre
Tout c' qu'on n' me disait pas

(Rien à perdre)

Est-ce que c'est moi qui devient fou ?
Répondez moi, mes yeux sont flous.

(Combien de murs)

Mais le dialogue n'est pas chose facile, surtout quand il est question d'amour.

A part pour t'écrire
Tout ce que j'ai pas su te dire

(Une chanson qui sert à rien)

Le silence est parfois pire
(J'te mentirais)

Parfois, devant le black out latent, il capitule mais ne change pas de cap pour autant:

Tu ne m'écoutes plus, je continue ma vie
(Pour exister)

Assieds toi deux secondes, j'ai besoin d' te parler
La nuit a été longue, essaie de m'écouter

(Rien à perdre)

J'avais envie de te parler
(Une chanson qui sert à rien)

Même si personne m'écoute
Ça changera pas ma route

(Rock, haines, rôles)

6000 bornes de chez toi et tu m' réponds même pas
...
Plus personne pour m'écouter et le bar va fermer
Pas question d' se coucher, juste envie de traîner

(Joue Docteur joue)

Savoir être à l'écoute, tel semble être son credo. Car il s'enrichit des récits d'autrui et est reconnaissant envers ceux qui, jadis, ont passer du temps (!) a narrer les expériences dont il s'est nourri pour être meilleur ou plus sage:

On t'écoutait, on avançait
(On t'attendait)

Il a toujours beaucoup de mal à comprendre l'échec d'une tentative de dialogue car lui, fait, au contraire, preuve d'une grande qualité d'écoute avec les autres. Enfin... surtout avec les femmes ! :

Ferme les yeux et raconte tout c' qui t' passe par la tête
(Lâche toi)

Elle m'a raconté son histoire, mytho ascendant bobards
Et moi j' faisais semblant d'y croire

(Décalé)

Elle m'a offert pendant quelques heures
Tous les battements de son cœur

(En bas des marches)

Dans J'suis quand même là, le manque de dialogue franc et massif est le grand responsable du malaise que subit le couple :

Y'aura des réveils difficiles
Y'aura des mots lancés pour rien
...
Qu'on osera enfin se dire
Qu'on s'aime et puis c'est tout

b) ...pour mieux être entendu

En lisant ses textes, on se demande parfois s'il n'a pas à faire à des sourds et mal entendants ! : " Mais comment se faire entendre quand personne ne répond " (Rock, haines, rôles). Plus sérieusement, en balayant le champ lexical, on relève des expressions qui traduisent bien sa crainte qu'on ne l'entende pas :

Et j'ai parlé un peu plus fort
Pour éviter que l'on m'évite

(S' laisser aimer)

Mais je chante quand même peut-être un peu trop fort
(Rock, haines, rôles)

Parfois, il pousse encore plus les décibels :

Et les chansons qui viennent
Comme des cris dans la gorge.
Envie d' crier sa haine
Comme un chat qu'on égorge
...
Si ce soir j'ai envie d' me casser la voix

(Casser la voix)

Ça m' donne envie d'hurler
(Rock, haines, rôles)

Celle d'un gosse sans gêne
Qui est monté sur cette scène
Qui vient crier au secours

(Rock, haines, rôles)

Entendre et être entendu, écouter et être écouter: Des notions, des qualités même qui deviennent rares dans ce monde où l'égoïsme est de rigueur, où les individus ne sont rassurés que par les images de synthèse du Web ou le confort du cocooning, où tout va trop vite, où les gens ne prennent plus le temps d'en consacrer aux autres. Voilà comment les thèmes de Bruel se rejoignent et sont, d'une certaine manière, indissociables.

Cependant, après cette analyse, on ne peut s'empêcher de constater une dichotomie entre son message selon lequel il est indispensable de prendre le temps d'échanger et parallèlement sa crainte d'en perdre.

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VI Les erreurs

" Il est bon quelquefois de s'aveugler soi-même et bien souvent l'erreur est le bonheur suprême. "
Destouches. Le Glorieux.

a) Mea culpa et lucidité devant l'erreur

Tout d'abord, l'erreur de l'artiste débutant qui, dans le cas présent, provient du manque d'expérience, est non seulement pardonnée mais même appréciée par un public indulgent.

Et vous avez aimé chacune de mes erreurs
(A tout à l'heure)

Avec le recul, ses erreurs lui paraissent tellement stupides qu'il préfère en sourire :

J'ai passé tellement de nuits
A maquiller mes peurs
Au milieu des non-dit
A rire de mes erreurs

(Rien à perdre)

Parfois, elles le laissent songeur :

J'ai passé tellement d'heures à me demander pourquoi
Mes plus belles erreurs étaient toujours pour toi

(Pour exister)

Le mot "belle" n'a pas été choisi par hasard. L'erreur faite par amour serait-elle, "belle" parce que naïve, parce que généreuse, parce que tout ce qui est fait par amour n'est-il pas, par définition, "beau" ?! ...

Donc qu'importe les erreurs puisque le cœur a ses raisons ! Il tente quand même sa chance ... même s'il sait que la partie est perdue d'avance:

Mais à ce jeu idiot
Je me suis emmêlé
Mais à ce jeu idiot
Même si on gagne jamais

(J' roule vers toi)

En avouant l'erreur, il présente en quelque sorte des excuses. Il est lucide, reconnaît ses tords et espère que sa franchise sera récompensée par le pardon.

J'sais bien qu' j'ai ma part
Dans le froid de ton regard

(J' suis quand même là)

Je t'ai trahie peut-être
Je me suis menti sûrement

(J' suis quand même là)

Mais l'aveu de l'erreur n'est, dans certains cas, pas suffisant. Il doit être doublé d'une promesse de non récidive:

Bien sûr y'a eu l'absence, bien sûr y'a eu le doute
Si tu me rends ta confiance, j' me perdrai plus en route

(J' suis quand même là)

L'erreur proche du masochisme qui le pousse à provoquer une rupture qu'il ne souhaite visiblement pas. Pourquoi faire simple... etc. ! ?

Si j'ai gagné d'autres batailles
J'ai p't'être tout fait pour qu' tu t'en ailles

(S' laisser aimer)

Et du plus beau livre d'images
J'ai déchiré la dernière page... dommage.

(S' laisser aimer)

b) L'erreur refoulée

Une autre erreur qu'il aurait tendance à commettre est celle de préserver son entourage en cachant un mal de vivre passager qu'il refuse lui même d'ailleurs d'admettre. Une erreur de comportement dont il est la première victime

Même si on fait tout pour cacher c' qui se voit
On a beau essayer, on n' trompe jamais que soi

(Rien à perdre)

Ou tout simplement, erreur de vite ranger dans un tiroir de la mémoire les erreurs passées si bien qu'elles ne sont pas bénéfiques puisqu'en les occultant, il n'en tire aucune leçon :

J'ai caché dans ma tête
Mes angoisses, mes défaites

(De face)

Et pour noyer tous mes remords
(S' laisser aimer)

Et qui s'demande encore pourquoi
Il est passé par là

(J'te mentirais)

Des mots idiots, c'est ma pas faute
(Une chanson qui sert à rien)

c) La faute partagée

La faute partagée est déjà moins lourde à porter. Elle se veut rassurante dans S'laisser aimer...

J'ai fait tous les voyages, croisé pas mal de routes
Erreur de paysages... un peu comme toi sans doute

... où le constat d'échec est clair et où les deux protagonistes ont une part de responsabilité partagée puisqu'ils sont tombés dans les mêmes pièges :

On s'est trop protégé... trop peur, trop jeunes, qu'est-ce que j'en sais
On a cherché trop loin quand simplement fallait s' laisser aimer.

De toutes nos erreurs, laquelle vivra
(Une chanson qui sert à rien)

Dans J'te l'dis quand même, l'erreur est à conjuguer à la première personne du pluriel au présent. Les acteurs jouent faux, il le regrette, d'autant plus qu'ils s'étaient jurés de ne jamais interpréter cette scène

Comme dans une série B
On est tous les deux mauvais
On s'est moqué tellement d' fois
Des gens qui faisaient ça.

Enfin, il invite les autres adultes à le rejoindre, à corriger leur attitude et à dire la vérité aux enfants parce qu'il a lui même souffert de ces mensonges inventés pour préserver, pour cacher une vérité qui éclate forcément un jour ou l'autre.

On passe sa vie à dire merci
Merci à qui, à quoi ?
A faire la pluie et le beau temps
Pour des enfants à qui l'on ment

(Qui a le droit)

d) Tout l' monde peut s' tromper !

C'est le titre d'une chanson qui prône l'indulgence face à l'erreur puisqu'elle est humaine ; personne n'y échappe. Personne ! Surtout pas celui qui accroît le spleen de PB avec sa chanson ...

Je te parlerai d'un chanteur
Un type beaucoup plus triste que moi
Un type qui fait des tas d'erreurs

(Est-ce que tu danseras avec moi ?)

... ni l'ami qui n'est pas venu au rendez-vous, Place des Grands Hommes parce qu'il a accumulé les erreurs de parcours que ses anciens camarades excusent volontiers :

On t'écoutait, on avançait
Alors arrête de répéter qu' t'as tout foiré

(On t'attendait)

... ni même encore ces " ces fous qui parlent fort " dans Rock, haines, rôles et encore moins ces...

Docteurs qui regardent les erreurs
Mais qui ne les voient pas

et il a un œil beaucoup plus critique, un regard beaucoup moins tendre face à ce type d'erreurs qui sont le fruit d'actes prémédités.

Dans le second chapitre, nous avons vu qu'il avait peur mais qu'il avait la franchise de l'avouer. Ici, avec la récurrence du thème de l'erreur dans ses chansons, on sent nettement qu'il se trompe (souvent) et une fois de plus, il l'admet.

Pour compléter cette analyse, citons l'extrait d'une interview (Fréquenstar 1994) : " je suis têtu mais pas obtus ; si on arrive à me démontrer que j'ai tort, j'accepte ". Mais est-il vraiment nécessaire de le lui démontrer ? A la lumière de ces exemples, on se risquerait à dire que son autocritique de l'erreur s'avère plutôt satisfaisante car objective.

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VII La séparation

" La flamme de la séparation cruelle me consume tout entier. "
Hafiz. Les Ghazels.

Si l'on appliquait la métaphore d'Hafiz à P.Bruel, il serait réduit à quelques cendres ! ... car si son œuvre dépeint des rencontres, elle regorge aussi de séparations.

a) Quand il part

Dans A tout à l'heure, il explique à son public que leur séparation n'est en fait que provisoire.

J'vais pas vous dire bonsoir
J' vais pas vous dire adieu.
Vous dire qu'on va s' revoir
J' crois qu'ça serait p't'être mieux
Maintenant qu'il faut partir
Je garde au fond du cœur
Vos lettres et vos sourires
A tout à l'heure

Mais, avec les femmes, l'histoire commencée s'achève définitivement. Dans L'Appart, on ne sait pas vraiment si elle le pousse à partir ou si cette décision vient de lui. Toujours est-il qu'il s'en va :

Dans cet appart', on s'est aimé
Maintenant qu'il faut qu' je parte
J' commence à m'en rappeler.

En revanche, dans Marre de cette nana là, c'est lui qui prend la décision de rompre :

Un jour j'ai dit c'est fini
Maintenant je m' casse

Tout comme dans la chanson Tout s'efface, où là, il décide de partir, un peu agacé par les "hésitations possessives" de sa compagne indécise:

Tu veux pas d'moi, tu veux pas m'perdre
Alors ce choix, j'le fais pour toi,
C'est moi qui part

Enfin, il y a le départ qui ressemble à une fuite mais qui est en fait un moyen de se retrouver :

J'ai fait semblant d' partir
J' suis pas allé bien loin
Histoire de s'en sortir
On prend n'importe quel chemin

(Rien à perdre)

b) Quand les autres partent

Tout miser sur l'amour (ou presque), c'est risquer dans le même mouvement la défaite et l'échec qui conduisent chez lui à une attitude fataliste et ne se résument qu'à un constat passif :

Alors on va s' quitter comme ça
Comme des cons d'vant l' café d'en bas

(J'te l'dis quand même)

Elle est partie un jour
Elle a quitté le bal

(Elle m' regardait comme ça)

C'est fou c' que c' type manque de pudeur
Un peu comme moi quand tu partiras
D'ailleurs t'es partie tout à l'heure
Et tu danseras plus avec moi

(Est-ce que tu danseras avec moi ?)

On apprend qu'il ne tire aucune leçon de la séparation :

J'ai rien appris quand tu partais
(S' laisser aimer)

Parfois même, il la provoque :

Si j'ai gagné d'autres batailles
J'ai p't'être tout fait pour qu' tu t'en ailles

(S' laisser aimer)

Là, il glisse sur les pentes du Don Juanisme, celles de l'homme qui ne veut pas s'habituer et donc qui rompt l'habitude qui est en train de se former. Si le renouvellement est une technique de jouvence, il a vingt ans !

La chanson est plus dramatique ou psychodramatique quand la maladie a raison de son ami :

Si tu crois plus en rien, même plus en tes mots
Parle moi... me laisse pas... te laisse pas

(Pars pas)

On sent dans Qui a le droit ? l'amertume de l'homme face au départ du père (a noter que ces deux vers, comme beaucoup d'autres cités tout au long de ce recueil, ont été écrit par son ami et coauteur de PB : G. Presgurvic... )

On m'avait dit faut écouter son père
Le mien a rien dit quand il s'est fait la paire

En conclusion, si en règle générale, la femme quitte le héros bruélien, le plus souvent, elle part avec un autre (Est-ce que tu danseras avec moi ?; J' roule vers toi...). Mais dans le second cas, quand il est à l'origine de la séparation, nous ne savons pas ce qui motive ses départs. Une autre femme, une peur... ?

On note que qu'il ne fait pas allusion aux blessures laissées par son départ. C'est certainement par pudeur, voir par humilité qu'il ne fait jamais référence aux réactions de ceux qui restent.

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VIII La souffrance

" Il n'est guère de souffrance dont vous ne puissiez émousser la pointe en imaginant combien elle pourrait être pire."
H. de Montherlant. Service inutile.

a) La souffrance morale, ou " l'enfer, c'est les autres ! "

La souffrance est une riche source d'inspiration pour l'artiste qui connaît les affres de la jalousie et du regard des autres face à la réussite ...

Se faire prendre pour un con
Par des gens qu'on déteste

(Casser la voix)

Et pour tenir malgré le pire
Les poings tendus sans rien dire
Apprendre à souffrir

(Pour exister)

J'ai pas d' certitudes, de doigt pointé en haut
Juste une inquiétude en face les salauds

Dommage pour les destructeurs qui pensaient le freiner ; leurs sarcasmes lui donnent encore plus d'élan.

Y'a qu'en face de la haine
Que j' peux monter plus haut

(Rien à perdre)

A la question de Michel Drucker (Studio Gabriel - 1994) " Que détestes-tu par dessus tout ? ", il répond : " Je crois qu'au fond, c'est la bêtise, parce qu'un jour où l'autre, elle engendre forcément la méchanceté ".

Celle, par exemple, des gens aigris et jaloux de voir des gens heureux:

Certains rigolent déjà
J' m'en fous, j' les aimais pas
On avait l'air trop bien
Y'en a qui n' supportent pas

(J' te l' dis quand même)

b) Quand la souffrance devient physique

Tout d'abord au sens propre du terme dans Pars pas et son impuissance à la calmer le désole

On est tout seul quand on a mal, bien sûr
...
Cette douleur qui te serre
Et moi qui n' peut rien faire

Le drame, la véritable souffrance pour lui en fait, c'est cet espoir contradictoire : continuer à espérer alors que l'espoir est vain. Ici, les deux types de souffrance sont dépeins : morale pour le chanteur, physique pour l'ami malade.

Physique au sens propre dans Dors :

Des bras trop courts pour embrasser
Mais bien assez longs pour cogner

et dans En bas des marches :

Sur ses joues quelques traces
d'une histoire qui a mal fini.

Puis souffrance physique au sens figuré cette fois, mais où la répétition du champ lexical de la douleur physique rend les vers très métaphoriques ; par exemple dans Joue, Docteur joue :

Ça m' fout des coups dans l' cœur
Mais j'ai comme une douleur
...
S'enfermer dans cette cave
Prisonniers volontaires de ces docteurs qui savent
Soigner tes misères

ou dans la chanson De face :

Courir dans tous les sens
Pour guérir une absence

La souffrance peut provenir aussi d'une sorte de claustrophobie. Les personnages (féminins) étouffent beaucoup :

Elle était coincée là depuis trois ou quatre mois
(Décalé)

Dans c' monde en mal d'amour
Elle respirait trop mal

(Elle m' regardait comme ça)

Pas besoin d'être en cage
Pour se croire en prison

(Elle m' regardait comme ça)

Quant à lui, il trouve de temps en temps sur son chemin une âme bienveillante, comme un(e) ami(e) :

J'avais le cœur en poussière
C'est toi qui m'a ramassé par terre

(Bouge)

ou un Bluesman, Docteur John :

Entre ton rythme et mon blues
On va s' faire la paire good news !
...
J'ai laissé toutes mes misères
Là bas d' l'autre côté d' la mer

(Joue, Docteur joue)

ou encore une femme :

Et j'ai pleuré un peu plus loin
Devant mes yeux, j'ai mis tes mains

(S' laisser aimer)

Tous ces personnages : l'ami, la femme et le musicien (toute sa vie ! ?) pansent ses plaies.

On en retiendra que les autres, les gens qui sont autour de lui, souffrent soit physiquement, ou soit ils ont la sensation d'être dans un carcan. On remarque qu'il ne vient à l'aide ni de l'héroïne de Décalé, ni de celle de Elle m' regardait comme ça ; mais en revanche, il tente de secourir à sa manière (c'est à dire en les écoutant) la fille d'En bas des marches et le protagoniste de Pars pas.

Quant à lui, sa souffrance provient en majeure partie de la méchanceté et de la jalousie.

Obligé de me défendre quand tout allait trop loin
...
Et pour tenir malgré le pire
Les poings tendus sans rien dire apprendre à souffrir

(Pour exister)

Son œuvre regorge du thème de la souffrance. C'est la source d'inspiration inépuisable dont se nourrissent les artistes, c'est le moteur qui les pousse à la création. C'est peut-être le seul et l'unique motif et point de départ de tout art. Le talent est le fruit de blessures extrêmes. Le talent a un prix.

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Conclusion

On prend toujours un risque en tentant d'analyser le pourquoi du comment d'une œuvre. Et le risque s'accroît quand on extrait des vers de quelques chansons pour les regrouper en thèmes. Si des erreurs d'interprétation ont été commises, je prie l'artiste de bien vouloir m'en excuser.

So What ? ! Quelle conclusion peut-on tirer de ces huit chapitres ?
Je pense qu'elle pourrait se résumer à trois points de suspension., puisque " l'œuvre est heureusement incomplète ". Et puis, P.B. aime les points de suspension " parce qu'ils sous-entendent que ça peut continuer ". Puisse-t-il donc continuer afin qu'un jour on les gomme...

" L'artiste doit aimer la vie et nous montrer qu'elle est belle. Sans lui, nous en douterions ".
Anatole France. Le Jardin d'Épicure.

Message personnel :

Merci d'avoir consacré quelques minutes à la lecture de cet essai.
Il vous aura peut-être ennuyé, irrité ... ou bien ému, étonné. Qui sait ?
Vous vous demandez certainement quelle en est la finalité. Et bien, je ne sais pas. Il répondait à une envie, presque un besoin ; alors je l'ai fait.
C'est ma façon de vous dire merci, de vous dire aussi que vos mots ont bien souvent guéri mes maux. Alors merci et à tout à l'heure ... peut-être.


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Oeuvre protégée par la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques)

N'hésitez pas à aller faire un tour sur le Site de Sandrine. Vous y retrouverez son essai et ses poèmes.


12/04/1998 - 27/11/1999
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